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Article de Stéphane KORSIA-MEFFRE paru le 3 février 2022 dans ls site du Vidal sous le titre Bons baisers d’Omicron : quelles nouvelles de ce variant très atypique ?Treize mutations exceptionnelles qui expliquent certaines propriétés d'Omicron…L'étude sur les interactions entre les mutations d'Omicron mentionnée précédemment, par Martin DP et al.(1), mérite que l'on s'y penche plus avant. Cette équipe a concentré son attention sur 13 des 30 mutations présentes sur le gène de la protéine Spike d'Omicron, mutations jusque-là exceptionnellement rencontrées chez d'autres sarbecovirus, même chez ceux, nombreux, présents chez les chauves-souris. Certaines de ces treize mutations n'avaient jamais été observées auparavant parmi les millions de génomes de SARS-CoV-2 séquencés au cours de la pandémie.Ces 13 mutations ne sont pas éparpillées au hasard sur Spike. Elles forment trois groupes (clusters), chacun modifiant une petite partie de la protéine et jouant un rôle important dans ce qui rend Omicron unique.
- Les clusters 1 et 2 modifient l'extrémité de la sous-unité S1 de Spike et augmenteraient son affinité avec le récepteur ACE2, améliorant ainsi la contagiosité d'Omicron. De plus, ces modifications rendent moins efficaces les anticorps neutralisants de classes 1, 2 et 4 issus d'une infection ou d'une vaccination, ce qui contribue à la relative immunorésistance d'Omicron.
- Le cluster 3 modifie Spike à proximité de sa base au niveau de son « domaine de fusion », c'est-à-dire la partie de la sous-unité S2 qui permet au virus de délivrer ses gènes à l'intérieur de la cellule cible. Cette partie de Spike est habituellement conservée (non mutée) chez les coronavirus de la famille de SARS-CoV-2, en tous cas ceux qui utilisent ACE2 pour pénétrer les cellules cibles. Les mutations du cluster 3 changent considérablement la façon dont Omicron infecte les cellules cibles (voir ci-dessous).
Prises séparément, ces mutations, lorsqu'elles avaient été observées, représentaient une gêne à la vitalité de SARS-CoV-2 et étaient rapidement éliminées par la pression sélective. Mais, ensemble, par un phénomène de synergie opérant à la fois dans et entre les clusters (baptisé « épistasie positive »), elles ont créé une série d'avantages pour Omicron, dont sa plus grande contagiosité et sa relative immunorésistance....et signent une origine inhabituelle pour ce nouveau variantLes auteurs de cette étude(1) essayent également de mieux comprendre les conditions d'apparition d'Omicron. En effet, il existe aujourd'hui trois hypothèses pour cette apparition soudaine d'un variant dont le plus proche ancêtre avait été observé plus d'une année auparavant (voir article du 2 décembre 2021)(2) :- une surveillance génomique des variants insuffisante dans une région isolée où Omicron aurait pu se construire progressivement de manière furtive ;
- une évolution lente au sein d'un patient immunodéprimé et chroniquement infecté, comme cela a été parfois rapporté(3), y compris récemment(4);
- une évolution chez un hôte intermédiaire animal infecté par l'homme (une « zoonose inversée » vers une « espèce réservoir »), chez qui les mutations se seraient accumulées et qui aurait ensuite contaminé des humains avec ce variant inédit.
Martin DP et al.(1), l'apparition simultanée, dès les premiers séquençages d'Omicron, de trois sous-variants (BA.1, BA.2 et BA.3) semble favoriser l'hypothèse d'une surveillance génomique locale insuffisante, au moins dans les mois ayant précédé l'identification d'Omicron.
Néanmoins, ils reconnaissent que les modifications des clusters 1 et 2, en augmentant significativement l'affinité d'Omicron pour les récepteurs ACE2 de diverses espèces animales (souris, rat, poule, dinde ou chauve-souris rhinolophe)(5) verse de l'eau au moulin de l'hypothèse de la zoonose inversée.Pour départager les hypothèses, il faudrait, par exemple, que l'on identifie les trois sous-variants chez un animal ou un patient, rendant ainsi possible les deux dernières hypothèses. Un panachage des hypothèses est également possible (par exemple, apparition de l'ancêtre des sous-variants chez un patient ou un animal, puis apparition de BA.1, BA.2 et BA.3 chez divers patients infectés par cet ancêtre).
Le Groupe consultatif scientifique sur les origines des nouveaux agents pathogènes (SAGO), récemment créé par l'Organisation mondiale de la santé, devrait publier un rapport début février 2022 sur les origines d'Omicron.Un mode d'effraction cellulaire modifié par rapport aux variants précédents…L'analyse structurelle de la protéine Spike d'Omicron, ainsi que divers travaux de culture de ce variant in vitro, montrent qu'Omicron est fondamentalement différent des autres variants connus par son mode d'infection des cellules cibles. Les modifications de la sous-unité S2 par le cluster 3 expliquent ce changement radical, aux fortes conséquences cliniques. Pour rappel, il existe deux modes de pénétration intracellulaire pour les SARS-CoV :- le clivage de S1 et S2 par la protéase transmembranaire à sérine 2 (TMPRSS2, sur la membrane de la cellule cible), suivi de la fusion de la membrane virale avec la membrane cellulaire, libérant ainsi l'ARN viral dans le cytoplasme. Ce mode d'infection est celui que privilégient tous les variants dominants de SARS-CoV-2 précédemment décrits.
- la capture du virus dans une « bulle » de membrane cellulaire (un « endosome ») qui pénètre ensuite la cellule. Cet endosome y est dégradé par des protéases, les cathepsines (et, dans le cas des coronavirus, en particulier les cathepsines L). Ce mode d'infection est possible, mais accessoire pour les variants de SARS-CoV-2 étudiés avant l'apparition d'Omicron.
Plusieurs études de culture d'Omicron in vitro (par exemple, Peacock TP et al.(6) ou Willett BJ et al.(7)), utilisant des inhibiteurs sélectifs de chacun de ces deux modes d'infection, ont montré que la voie de pénétration préférée par Omicron est celle mettant en jeu la formation d'endosomes et leur digestion par les cathepsines L.... et qui a des conséquences sur le plan clinique et thérapeutiqueEn quoi cette information sur le mode d'infection d'Omicron est-elle importante sur le plan clinique ? Tout d'abord, ce mode d'infection permet à Omicron de s'affranchir de la présence de TMPRSS2 sur la cellule cible : la seule présence du récepteur ACE2 lui suffit. À l'inverse des autres variants, il ne présente pas de tropisme sélectif pour les cellules portant TMPRSS2. Or, cette protéase membranaire est particulièrement présente sur les cellules des alvéoles pulmonaires, des papilles gustatives, du cœur, du tube digestif, du cerveau(8), etc., autant d'organes fortement ciblés par les variants précédents de SARS-CoV-2.
De fait, deux études in vitro et deux études ex vivo (Willett BJ et al.(7) et Meng B et al.(9) Chan MCW et al.(10) et Huy KPJ et al.(11)) ont apporté des éléments suggérant une moindre infectivité d'Omicron pour les cellules pulmonaires. Ainsi, l'indifférence d'Omicron pour TMPRSS2 pourrait contribuer à expliquer sa moindre pathogénicité, en particulier concernant les organes riches en cette protéase.Mais cela n'explique pas tout. Au niveau des muqueuses du rhinopharynx, les cellules portant seulement les récepteurs ACE2 sont sept fois plus nombreuses que celles portant ACE2 et TMPRSS2(12) : il reste donc un vaste champ d'action pour Omicron qui, in vitro, se multiplie cent fois plus rapidement que Delta dans un mélange de cellules nasales(12). Dans ces conditions, comment expliquer la réduction de la charge virale dans le nasopharynx observée in vivo avec Omicron (voir plus haut) ?
En fait, la préférence d'Omicron pour la voie endosomale entraîne une conséquence défavorable à sa multiplication, conséquence qui pourrait contrebalancer son affinité pour les cellules portant ACE2. Parmi les facteurs de l'immunité innée (non spécifique, à l'inverse de l'immunité acquise) se trouvent des protéines cellulaires, les protéines transmembranaires induites par les interférons (IFITM), qui ont la capacité d'empêcher les endosomes de relâcher leur contenu viral. Chez des variants comme Alpha ou Delta, la pénétration par le biais de TMPRSS2 court-circuite ce mécanisme de défense. Omicron, compte tenu de son mode d'infection endosomal, est, lui, sensible à ces protéines immunitaires(12) ce qui pourrait expliquer sa moindre virulence et la plus faible charge virale dans le rhinopharynx.Autre possible base biologique à la plus faible pathogénicité d'Omicron, le mode de pénétration endosomal, à l'inverse de celui utilisant TMPRSS2, ne provoque que faiblement la formation de syncitia, ces fusions de cellules infectées et de virus qui favorisent la contamination des cellules voisines. Dans le contexte des infections respiratoires virales, et en particulier de la COVID-19, la formation de syncitia semble particulièrement marquée lors de formes pulmonaires sévères. Deux études in vitro ont montré qu'Omicron était dix fois moins « fusiogène » que Delta(12) (voir aussi Suzuki R et al.(13)) Ainsi, il est possible que le passage du mode TMPRSS2 au mode endosomal s'accompagne d'une réduction des lésions tissulaires(12), d'autant plus qu'Omicron ne semble que peu infecter les cellules alvéolaires.
________________________________________________________________Bibliographie :- Selection analysis identifies unusual clustered mutational changes in Omicron lineage BA.1 that likely impact Spike function https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2022.01.14.476382v1.full.pdf
- Omicron : un variant en marche ? https://www.vidal.fr/actualites/28328-omicron-un-variant-en-marche.html
- Persistent SARS-CoV-2 infection and intra-host evolution in association with advanced HIV infection https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2021.06.03.21258228v1.full.pdf
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Persistent SARS-CoV-2 Infection with Accumulation of Mutations in a Patient with Poorly Controlled HIV Infection https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4014499
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Evidence for a mouse origin of the SARS-CoV-2 Omicron variant https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2021.12.14.472632v1.full.pdf
- The SARS-CoV-2 variant, Omicron, shows rapid replication in human primary nasal epithelial cultures and efficiently uses the endosomal route of entry. https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2021.12.31.474653v1.full.pdf
- The hyper-transmissible SARS-CoV-2 Omicron variant exhibits significant antigenic change, vaccine escape and a switch in cell entry mechanism. https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2022.01.03.21268111v1.full.pdf
- ACE2, TMPRSS2 distribution and extrapulmonary organ injury in patients with COVID-19 https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7444942/pdf/main.pdf
- Altered TMPRSS2 usage by SARS-CoV-2 Omicron impacts tropism and fusogenicity https://www.nature.com/articles/s41586-022-04474-x_reference.pdf
- SARS-CoV-2 Omicron variant replication in human respiratory tract ex vivo https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7444942/pdf/main.pdf
- SARS-CoV-2 Omicron variant replication in human bronchus and lung ex vivo https://www.nature.com/articles/s41586-022-04479-6_reference.pdf
- The SARS-CoV-2 variant, Omicron, shows rapid replication in human primary nasal epithelial cultures and efficiently uses the endosomal route of entry. https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2021.12.31.474653v1.full.pdf
- Attenuated fusogenicity and pathogenicity of SARS-CoV-2 Omicron variant https://www.nature.com/articles/s41586-022-04462-1#citeas
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