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En mars 2020, le monde sidéré subit les effets de la première vague de Covid 19 : hôpitaux submergés et létalité inquiétante. Ce sera le premier confinement et l’état d’urgence sanitaire, avec son lot de consignes et de restrictions. Décembre 2020 voit poindre l’espoir d’une solution, avec l’annonce de la mise au point d’un vaccin à partir d’une technologie révolutionnaire, par sa conception et sa célérité de mise en œuvre. Les laboratoires Pfizer-BioNTech et Moderna commencent à livrer leur précieux élixir. Israël débute fin décembre 2020 une active campagne de vaccination, et semble avoir vaincu le coronavirus à la fin du mois de mars 2021.
Mais c’était une victoire à la Pyrrhus, les mutations du virus rendant les mutants de plus en plus contagieux. D’autres vagues vont se succéder au rythme de l’alphabet grec : alpha, beta, delta, et omicron pour le dernier en date. Dans ce contexte de jour sans fin et de boucle temporelle, il est essentiel de comprendre pourquoi la vaccination reste une arme efficace, malgré des apparences pouvant éventuellement suggérer le contraire.
Pour ce faire, nous allons évaluer le concept d’efficacité vaccinale, en termes de contamination et de pathogénicité, afin de comprendre les options qui, à ce jour, s’offrent aux scientifiques pour proposer une stratégie vaccinale cohérente.
DE L’EFFICACITE D’UN VACCIN SUR LA CONTAMINATION (1)
« Nous devons être conscients que même les triples vaccinés sont susceptibles de transmettre la maladie », a déclaré le Dr. Uğur Sahin, P.D.G. de la société BioNTech qui, en collaboration avec Pfizer, a développé l’un des vaccins les plus efficaces à ce jour contre le Covid-19. Cette déclaration, publiée dans le Monde du 20 décembre 2021, ne signifie pas pour autant que ce vaccin, qui n’empêche pas la contamination par les sujets vaccinés, serait un mauvais vaccin. Nous allons l’expliquer.
Certes, il existe des vaccins générant une réponse capable d’éliminer complètement le virus de l’organisme, éliminant ainsi le risque de contamination. Une telle « immunité stérilisante » a été obtenue avec le vaccin contre la variole. Après avoir tué plus de 300 millions de Terriens au cours du XXe siècle, cette maladie a été officiellement éradiquée en 1980 grâce à des campagnes massives de vaccination. De la même façon, le vaccin contre la rougeole prévient tant l’apparition de la maladie que sa transmission.
Une réponse immunitaire aussi définitive n’est cependant pas forcément indispensable pour enrayer la propagation d’une épidémie. Comme le rappelait en janvier 2021 la revue Scientific American, un vaccin non totalement efficace pour prévenir la transmission d’un agent pathogène peut néanmoins entraver sa diffusion dans la population.
Un intérêt indéniable des vaccins non stérilisants
Nombre de vaccins ont démontré leur intérêt sans qu’ils ne confèrent une immunité stérilisante. Citons pour exemple le vaccin dirigé contre le virus de l’hépatite B, grâce auquel le système immunitaire des sujets vaccinés réduit suffisamment l’impact de l’agent pathogène pour prévenir la maladie, même si ce dernier peut persister dans l’organisme et potentiellement infecter d’autres personnes.
Pas d’immunité stérilisante non plus pour le vaccin contre le rotavirus, qui provoque diarrhées et vomissements chez les nourrissons et les jeunes enfants. La vaccination limite la réplication de l’agent pathogène, mais ne l’empêche pas complètement. Elle ne protège donc pas contre les formes bénignes de la maladie mais, en réduisant la charge virale d’un individu infecté, elle diminue le risque de transmission.
Quant aux vaccins anti-Covid actuellement utilisés, ils réduisent eux aussi la transmission entre individus, mais leur principal bénéfice à court terme est ailleurs : s’ils n’empêchent pas toujours l’occurrence de la maladie, ils diminuent nettement la probabilité d’apparition de formes graves. Selon leur statut vaccinal, les sujets vaccinés ont ainsi jusqu’à vingt fois moins de risques de se retrouver en unité de soins critiques que les non-vaccinés, tous variants confondus. Cette probabilité ne dépend pas toutefois uniquement de la vaccination. Interviennent aussi, on le sait, l’âge, le sexe (les hommes sont plus vulnérables) et les facteurs de comorbidité, sans oublier les facteurs génétiques.
En septembre 2020, deux chercheurs de l’Institut Max-Planck à Leipzig, ont montré dans un article de Nature qu’une probabilité plus élevée de développer une forme grave du Covid-19 était liée à des gènes hérités de Néandertal. Pratiquement absents en Afrique, ils sont portés par environ 16 % de la population en Europe et quelque 50 % en Asie du Sud. Ces legs d’une « brève » histoire commune avec les Néandertaliens se signalent des dizaines de milliers d’années plus tard au souvenir d’Homo sapiens. Comme pour lui rappeler que, dans sa confrontation aux virus, il est des aléas génétiques sur lesquels il n’a pas prise.
RAPPEL : IMMUNITE ET ANTICORPS
Le système immunitaire est une machinerie extrêmement complexe dont le rôle est de protéger l’organisme des agressions, qu’elles soient d’origine traumatique ou infectieuse (parasitaire, bactérienne, mycosique, virale).
Table 1 : Immunité immédiate et retardée
Ce système est capable de réagir de façon immédiate, soit par une réaction inflammatoire et/ou la synthèse d’anticorps (immunité humorale) capables de neutraliser l’agent infectieux, soit par l’action des cellules tueuses (immunité cellulaire) capables de détruire les cellules infectées.
Mais il peut aussi réagir de manière retardée, par la stimulation des cellules mémoires capables de produire très rapidement des clones de lymphocytes producteurs d’anticorps et des clones de lymphocytes tueurs.
La vaccination, tout comme l’infection naturelle, contribue à la mise en place de cette immunité mémoire, qu’un nouveau contact avec l’agent infectieux ou un rappel de vaccination mettra rapidement en action.
La vaccination stimule l’ensemble du système mais, en pratique et en routine, on ne peut évaluer le niveau de la stimulation que par le dosage des anticorps circulants, c’est-à-dire la réponse humorale immédiate.
On extrapole donc la durée de l’immunité vaccinale par l’observation de l’occurrence de la maladie dans la population vaccinée et, d’autre part, par le dosage des anticorps circulants. Les techniques d’étude des cellules-mémoires ainsi que celles de la réponse immunitaire cellulaire existent mais sont très sophistiquées, et relèvent encore du domaine de la recherche.Table 2 : La réponse immunitaire à l’infection par le Coronavirus
Concernant la vaccination par les vaccins à ARNm, il s’avère que le taux d’anticorps baisse rapidement trois à quatre mois après la deuxième dose, puis remonte fortement après la troisième dose mais pour une durée non encore déterminée avec précision. En Israël, le booster (troisième dose) a nettement infléchi aussi bien le taux d’incidence que le nombre d’hospitalisations et de décès lors de la vague de variant Delta. C’est sur ces constatations que se base l’injection d’une quatrième dose afin de lutter contre la vague actuelle de variant Omicron.
Quid de l’immunité cellulaire et humorale retardée ?(2)
Etant entendu que le taux d’anticorps diminue significativement avec le temps et que les nouveaux variants y sont souvent moins sensibles, on doit admettre que l’immunité humorale immédiate obtenue avec les vaccins à ARNm actuels ne protégera plus suffisamment de la circulation virale et des formes bénignes de la maladie. En ce qui concerne le variant Omicron, qui présente un nombre significatif de mutations par rapport aux variants précédents, on estime qu’il est beaucoup plus transmissible que le Delta, mais moins pathogène.
En effet, les premières données de la vague Omicron (Afrique du Sud, Danemark, Royaume-Uni), montrent que la protection contre les formes sévères de la maladie perdure. On enregistre en effet une décorrélation, pour le moment incontestable, entre le nombre de positifs aux tests et le nombre de cas graves. Les prochaines semaines permettront de confirmer – ou pas – cette constatation. Mais il restera difficile de préciser si ce très contagieux variant Omicron est effectivement moins virulent, ou bien s’il a été vaincu, c’est-à-dire si l’occurrence fréquente de formes graves de la maladie dans des populations très majoritairement vaccinées a été bloquée par les régiments de forces spéciales de l’immunité-retardée (immunité-mémoire).
DE L’EFFICACITE DES VACCINS ARNm POUR PROTEGER DES FORMES GRAVES
Le graphique ci-dessous montre le nombre de nouveaux cas graves au mois de décembre 2021 en Israël. La différence entre vaccinés et non vaccinés est évidente. On note une légère remontée des cas la dernière semaine correspondant sans doute à l’arrivée du variant Omicron, ou aux premiers effets de la perte d’efficacité contre le variant Delta du booster commencé dès juillet, ou à la conjonction des deux phénomènes. Cependant la différence reste bien visible.
Table 3 : Répartition des cas graves selon le statut vaccinal, décembre 2021
En France, les réanimateurs qui s’expriment publiquement indiquent tous l’énorme prévalence des non-vaccinés en réanimation (de 70 à 90% des cas selon la région), et au 5 janvier 2022 la quasi exclusivité du variant Delta chez ces patients.
- Sur 1 million de vaccinés, 1,5 personne a été admise en réanimation chaque jour en moyenne ;
- Sur 1 million de non-vaccinés, 26 personnes ont été admises en réanimation.
Les non-vaccinés sont donc dix-sept fois plus nombreux à avoir été hospitalisés dans un service de réanimation que les personnes présentant un schéma vaccinal complet.
Ces chiffres confirment, en outre, un très haut niveau de protection des vaccins (environ 94 %) face aux formes graves de la maladie – ils sont par contre moins efficaces en termes de prévention de la propagation du virus. De fait, chacun connaît des personnes convenablement vaccinées mais ayant été testées positives au Coronavirus, et ne présentant toutefois que des formes asymptomatiques ou très bénignes de la maladie.
Si l’on reprend la chronologie : l’injection vaccinale (en général 2 injections) nous a protégé contre le virus Alpha, le Coronavirus originaire de Chine. Le premier rappel vaccinal (dose 3) a ensuite joué le rôle de bouée de sauvetage face au variant Delta. À chaque fois, la dose supplémentaire donne une marge de sécurité sur les nouveaux variants pour protéger contre la sévérité de l'infection. C’est pourquoi nous nous attendons à ce que la quatrième dose nous protège maintenant contre le variant Omicron.
D’AUTRES PISTES VACCINALES(4)
On constate que les vaccins à ARNm stimulent beaucoup l’immunité humorale et les anticorps circulants, mais nous avons peu de données avérées sur l’efficacité de ces vaccins sur la réponse mémoire et plus spécialement sur la réponse mémoire cellulaire. Il y a quelques mois, les publications avaient montré que la réponse mémoire vaccinale avec deux doses était 1,5 fois inférieure à l’immunité naturelle.
L’infection naturelle stimule beaucoup plus largement le système immunitaire, déclenchant une synthèse plus variée d’anticorps, alors que les vaccins à ARNm ne provoquent que la synthèse d’anticorps anti-spike.
L’immunité naturelle offre donc un réservoir d’anticorps plus vaste et qui semble stable dans le temps. Un article publié dans Nature a montré que l’immunité naturelle perdurait au moins 18 à 24 mois (nous n’avons pas plus de temps de recul sur la pandémie de Covid-19). Notons qu’on assiste cependant parfois à la réinfection par de nouveaux variants de personnes précédemment infectées .
Les vaccins à protéines recombinantes
Nous ignorons si l’immunité mémoire décline après l’injection de vaccins à ARNm. Nous savons, en revanche, que d'autres vaccins à protéines recombinantes, comme celui de l’hépatite B, induisent une immunité mémoire très robuste. On peut donc espérer, par analogie, que les vaccins à protéines recombinantes comme celui de Novavax ou de Sanofi pourront fonctionner plusieurs années, idéalement jusqu'à 10 ans ! Il s’agit là d’un scénario extrêmement favorable, mais il est cependant encore prématuré d’annoncer qu’il en sera ainsi.
COMMENT LA PERTE DE L’EFFICACITE VACCINALE FACE À OMICRON PEUT-ELLE INFLUENCER LES FUTURES STRATEGIES VACCINALES
Il existe, à l’heure actuelle, un consensus international sur la nécessité d’intensifier la vaccination auprès des populations insuffisamment ou non vaccinées.
Cinq à six mois après l’injection des deux premières doses de vaccin, a été constatée une baisse de l’immunité qu’elles avaient jusque-là conférée. En Israël, la vague du variant Delta a été affrontée avec succès grâce à une 3ème dose de vaccin dès fin juillet 2021. Cette décision d’administrer un rappel quelques mois seulement après la primo-vaccination était audacieuse, mais elle a fait ses preuves en réduisant fortement le risque de cas grave chez les vaccinés.
Après une certaine hésitation, et au vu des résultats obtenus en Israël face au Delta, la FDA américaine, l’Europe ainsi que de nombreux pays dans le monde proposent maintenant une 3ème dose pour tous, cette fois-ci en vue de freiner la vague d'Omicron et de protéger un maximum de personnes des formes graves de Covid19. Dans cette stratégie d’urgence, il semble en effet raisonnable de ne pas attendre plus de trois mois pour procéder à un rappel de vaccination, comme le préconise la HAS (Haute Autorité de Santé).
Aujourd’hui, soit 5 mois après l’administration du booster, Israël constate de nouveau une baisse de l’immunité humorale (des anticorps). La répétition de ce scénario explique pourquoi certains experts prônent l’injection d’une 4ème dose pour dominer la vague d’Omicron.
Ce n’est toutefois pas l’avis de tous. En effet, l’Omicron différant plus du Delta que celui-ci ne différait de l’Alpha (la forme virale circulant au tout début de la pandémie), et le vaccin anti-Covid actuel continuant à protéger efficacement des formes graves de la maladie – même s’il n’évite la contamination qu’à 33% – d’autres experts préconisent d’attendre l’élaboration d’un vaccin plus spécifique qui, à ce titre, sera plus efficace.
C’est finalement la rapidité de la contagion et l’évaluation de la gravite de cette nouvelle vague qui, tout autant que la capacité à produire rapidement et en grande quantité un vaccin plus spécifique, orienteront le choix de la stratégie vaccinale.
Le 4 janvier 2022, les autorités israéliennes ont tranché et donné accès à une 4ème dose de vaccin à toutes les personnes de plus de 60 ans, ainsi qu’aux personnes à risques, immunodéprimés ou souffrant de comorbidités. Une étude menée à l’hôpital Sheba de Ramat Gan montre que les taux d’anticorps sont multipliés par un facteur 5 après la 4ème dose. Israël, premier pays au monde à adopter cette stratégie, prend encore une fois les devants. Cette initiative est déjà considérée avec intérêt par d’autres pays.
CONCLUSION
Après l’immense espoir suscité par les résultats des premières campagnes de vaccination, on peut comprendre la déception devant une baisse de l’immunité plus précoce qu’on ne l’avait espéré, celle-ci nous contraignant à répéter la vaccination. De fait, le coronavirus responsable de la Covid 19, avec ses nombreux variants, nous oblige à repenser en permanence les stratégies de vaccination et les décisions de restrictions sanitaires. Cependant, bien que les vaccins n’aient pas encore mis fin à la pandémie, ils ont déjà permis de sauver des millions de personnes de l’hospitalisation et de la mort.
Il est clair que nous devons encore améliorer l’efficacité des vaccins à ARNm, afin d’atteindre une protection plus durable et moins sensible aux mutations du virus. Ceci ne doit cependant pas nous empêcher de comprendre l’extraordinaire avancée scientifique et technologique qu’ils représentent, et les bouleversements de la médecine de demain qu’ils annoncent dans les domaines de la vaccination, du traitement du SIDA, du paludisme, d’affections cancéreuses, et de bien d’autres maladies à ce jour sans thérapie connue.
La mise au point de nouveaux vaccins et l’apparition de nouveaux traitements très efficaces pour prévenir les cas graves et la mortalité chez les patients à risque, le Pavloxid de Pfizer et le Molnupiravir de Merck, nous fournissent encore d’autres raisons d’espérer une victoire sur la pandémie.
Enfin, devant l’évolution favorable en termes de gravité de la vague Omicron au Danemark et en Grande-Bretagne, ce malgré le nombre élevé de personnes testées positives, certains scientifiques réputés se prennent à rêver que celle-ci sera la dernière vague, celle qui confèrera enfin l’immunité collective tant espérée et amènera ainsi la fin de la pandémie. Nous saurons d’ici deux mois si ce scénario optimiste se réalise.
Dans cette attente la meilleure protection reste la vaccination, la réduction des rassemblements publics et prives, et les gestes-barrière.
Références :
1- https://www.lepoint.fr/editos-du-point/disqualifies-les-vaccins-anti-covid-29-12-2021-2458429_32.php
2- https://www.nature.com/articles/d41586-021-00367-7
3- Covid-19 : la majorité des patients en réanimation sont bien non vaccinés (lemonde.fr)
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